Cardinal Tisserant, Juste parmi les Nations
Les anciens de Lorraine se souviennent combien nous étions fiers, quand nous étions enfants, et que tous les papes étaient italiens, de savoir que NOTRE Cardinal TISSERANT était doyen du Sacré Collège, entendez le Collège des Cardinaux, et donc qu’il était premier ministre du Pape….. Premier ministre de 3000 évêques, de plus de 100 pays…
Et ce Cardinal était non seulement français mais il était lorrain, lorrain de Nancy, né et formé à Nancy….
En 1914 il était mobilisé comme aumônier du 26e RI, le célèbre régiment de Nancy, il a été gravement blessé au Léomont lors de la bataille du Grand-Couronné, où le général de Castelnau avait brisé l’offensive allemande, empêchant le corps de bataille Français d’être pris en étau entre la Marne et Charmes…..
Qui se souvient de sa prestigieuse carrière, des confins du Moyen Orient jusqu’aux allées du pouvoir à Rome…. De sa place de doyen du Sacré-Collège il régna sur la diplomatie Vaticane, notamment pendant la guerre froide, sous plusieurs papes.
Il fut aussi la cheville ouvrière du Concile de Vatican II.
Son immense savoir en langues anciennes de l’orient en firent aussi le conseiller irremplaçable des papes qu’il côtoya ; Pie XI, Pie XII, Jean XXIII, Paul VI…
Il n’oublia jamais la Lorraine où il revenait avec plaisir…. La présente note, compilation de plusieurs documents, tente modestement d’apporter sa pierre pour que la Lorraine n’oublie pas le fabuleux destin de cet homme de savoir et de diplomatie
1 La Jeunesse en Lorraine
Eugène TISSERANT : doyen du Sacré-Collège
* Né à Nancy au 3 Rue Gilbert le 24 mars 1884, dans la maison familiale héritée de la famille meusienne de sa mère, née Connard.
* Baptisé le lundi de Pâques suivant à l'église saint Sébastien, il est le troisième d'une famille qui comptera six enfants.
* Les ancêtres de la famille Tisserant étaient meuniers de père en fils avant d'être vétérinaires. On les trouve à Châtel-sur-Moselle, à Charmes, à Bayon, puis à Nancy. Eugène a le prénom de son grand-oncle et parrain, qui fut durant quarante ans professeur à l'école vétérinaire et laissa des livres de médecine vétérinaire de référence. Son grand-père et son père étaient également vétérinaires. Hippolyte Tisserant, le père d'Eugène, fut vétérinaire militaire dans la cavalerie, secrétaire du Conseil départemental d'hygiène, secrétaire de la Société d'agriculture de Meurthe-et-Moselle.
1.1 Étudiant :
* Eugène est entré au séminaire à 16 ans, déjà bachelier.
* Eugène Tisserant fit ses études dans sa ville natale, où il passa quatre années au Grand Séminaire. Après deux années passées au couvent Saint-Étienne des Dominicains à Jérusalem, il poursuivit à Paris sa formation, à l'école des Langues orientales, à l'école des Hautes études de la Sorbonne, à l'école du Louvre et à l'Institut catholique.
Il vécut à Nancy jusqu’à l’âge de vingt ans.
En octobre 1900, il entre au Grand séminaire de Nancy. Il a seize ans. Le séminaire est alors situé le long de l'avenue de Strasbourg. L'abbé Charles Ruch, futur archevêque de Strasbourg, qui dirige les études au séminaire, discerne rapidement les aptitudes exceptionnelles d'Eugène Tisserant à l'étude des langues orientales.
Tout en poursuivant ses études de théologie, le jeune séminariste apprend l'hébreu, le syriaque et l'assyrien.
Entré au grand séminaire de Nancy (1900-1904), il fut, dès le départ, conseillé par ses maîtres, É.Mangenot, l'abbé Ruch et Émile Amman. Il s'orienta vers l'étude des langues sémitiques anciennes, l'Église primitive et l'Orient chrétien. Rappelons que l’abbé Ruch fut l’aumônier général du XXe Corps en 1914, puis évêque de Nancy et enfin évêque de Strasbourg après l’armistice de 1918
Monseigneur Ruch sollicite alors de Monseigneur Turinaz, évêque de Nancy, l'autorisation d'envoyer son jeune élève passer un an à l'École biblique de Jérusalem. Il a vingt ans. Cette demande est acceptée. Les frais de voyage et de séjour sont pris en charge par l'Œuvre d'encouragement des études supérieures dans le clergé, qui a été fondée en 1895 et soutenue par Léon XIII.
* En 1905, Eugène fait son service militaire au 156e RI de Toul, un régiment de la Division d’acier qui se battit héroïquement entre Haraucourt et Crévic en 1914.
* Libéré, il reprend ses cours à l'Institut catholique de Paris, il y acheva ses études de langues orientales. En deux ans, il est diplômé d'hébreu, de syriaque, d'arabe, d'éthiopien et d'assyrien. Il suit aussi des cours d'arabe littéral à l'École des langues orientales, des cours d'archéologie orientale et de paléographie grecque, assyrienne et arabe à la Sorbonne, ainsi que des enseignements de céramique grecque et de langue égyptienne à l'École du Louvre. Il commence aussi à publier. Parmi ses contributions, on peut signaler le papyrus araméen de la colonie juive d'Éléphantine, la traduction arabe d'un texte copte perdu, l'Ascension d'Isaïe, traduction de la version éthiopienne, avec les principales variantes des versions grecque, latine et slave. Ce jeune homme fait déjà figure d'expert reconnu.
1.2 Prêtre
Ordonné prêtre le 4 août 1907, il fut nommé, l'année suivante, conservateur des manuscrits orientaux à la Bibliothèque vaticane.
1908 : ainsi diplômé en cinq langues sémitiques (hébreu, syriaque, arabe, éthiopien, etc.), il complétera sa formation en copte, arménien et russe à l'École des Langues Orientales vivantes.
Il arrive à l'automne 1908 à Rome. Il enseigna l'assyrien à Rome, de 1908 à 1913.
Il profite des vacances de l'été 1909 pour visiter de grandes bibliothèques et y travailler : la Marciana à Venise, la Laurencienne à Florence et surtout l'Ambrosiana à Milan. Il y fait une rencontre décisive, celle du conservateur, Monseigneur Achille Ratti (futur Pie XI), avec lequel il se lie rapidement d'amitié. Ils sont à travailler quotidiennement ensemble car Monseigneur Ratti devient peu après Vice-préfet de la Bibliothèque vaticane, et il en sera le Préfet en septembre 1914.
L'abbé Tisserant est de plus en plus sollicité. En 1909, au Mont-Cassin, il déchiffre le palimpseste du plus ancien missel latin connu.
En 1910, il déchiffre de nombreux manuscrits déposés au British Museum. Et surtout, en 1911 et 1912, avec l'aide de l'Œuvre d'encouragement des études supérieures dans le clergé, il accomplit deux longues missions au Proche Orient. À cheval ou à dos de chameau, il parcourt l'Égypte, la Palestine et la Mésopotamie. Il prend d'abondantes notes sur ses carnets et il rapporte de nombreux manuscrits. Ses compétences lui valent de devenir, à Rome, membre de la Commission biblique en 1914.
Il fit la plus grande partie de sa carrière à Rome, secrétaire de la congrégation pour l'Église orientale et enseignant l'assyrien.
2 La Grande Guerre
Début août, lors de la mobilisation générale il se trouve être en Lorraine et est mobilisé au 26e RI de Nancy. Il en sera l’aumônier. Il aurait dû être affecté dans le régiment de réserve du 156e RI mais il se fit sans doute pistonner pour être affecté au plus réputé régiment de Nancy.
Il sert donc comme soldat de première classe au 26e de ligne, il fut blessé le 1er septembre 1914 à Vitrimont, le jour où mon père venait au monde à dix kilomètres de là entre Flavigny et Azelot.
Pour mémoire c’est ce jour-là qu’une violente bataille opposa la 11e Division, la division de Fer de Nancy, aux Bavarois, au pied de la côte de Friscati. C’est ce jour-là également que le colonel commandant la 21e Brigade d’infanterie, le colonel Courtot de Cissey, fut tué d’un éclat d’obus devant la ferme des Quatre-Vents, ainsi que le colonel BERNARD son successeur.
Soigné à l’hôpital à Nancy, son médecin s’étonna qu’un tel érudit fut employé en première ligne, alors qu’on manquait tant au Moyen Orient de tels profils, au moment où diplomatiquement on cherchait à rattacher à nos vues les peuples de cette région.
C’est ainsi qu’il est affecté à l'État-Major, à la section Afrique du Ministère des affaires étrangères. Il rédige des notes techniques qui seront rapidement remarquées et appréciées. Il contribue à former la Légion d'Orient et ses volontaires arméniens venus du monde entier. À partir de 1917, il est nommé à l'État-Major du détachement français de Palestine que le général de Piépape doit organiser. Ce corps expéditionnaire doit intervenir aux côtés des Anglais contre les Turcs. Lieutenant, Eugène Tisserant est en charge du ravitaillement en vivres et en munitions, des installations sanitaires et des transports.
Il est même amené à commander un peloton de spahis qui s'empare de Gaza et, au moment décisif, il prend la tête de ses troupes. Jérusalem est prise en décembre 1917, et l'armée turque est en déroute en 1918.
3 L’entre-deux guerres :
Après la guerre il retrouva son poste de conservateur de manuscrits orientaux à la Bibliothèque vaticane.
Patriote, et fort attaché à la Lorraine. Il avait joué un rôle non négligeable dans la canonisation de Jeanne d'Arc, en 1920, et l'amélioration des relations entre le Saint-Siège et la République française. On est à la fin de la guerre de 14 et le Saint-Siège qui s’inquiète de la puissance Allemande a besoin de se rapprocher à nouveau de la France, après les événements désastreux de 1905.
Monseigneur Ratti est élu Pape sous le nom de Pie XI en 1922. L'abbé Tisserant s'en réjouit. Il reste l'un des proches et l'un des confidents du nouveau Pape.
Nommé consulteur de la section historique de la congrégation des rites en 1930, Eugène Tisserant était fait cardinal diacre en 1936,
En 1936 et jusque 1959 il est nommé par ailleurs secrétaire de la Congrégation pour l'Église Orientale.
En 1936, toujours de la volonté du pape Pie XI, il présida la Congrégation pour les Église Orientales (1936-1959), travaillant sans relâche pour intensifier les liens des Églises d'Orient avec Rome.
Sacré comme archevêque titulaire d'Iconium en 1937 (Asie Mineure).
En France, il fut élu à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres en 1938.
Parallèlement, le Cardinal Tisserant fut président de la Commission biblique en 1938.
4 La guerre à nouveau
Le cardinal poursuivit ses différentes missions durant cette période.
Ce ne fut pas toujours facile le nouveau Pape Pie II étant plus distant, plus secret. Il faut dire que cette période ne fût pas facile pour le Pape lui-même, la pression allemande sur les Églises des pays d’Europe occupés, y compris Rome, étant extrême.
Il est parfois un diplomate de l'ombre. Durant la seconde guerre mondiale, il est "le cardinal français" aux côtés de Pie XII. Il laisse entrevoir quelques aspects de son action d'alors dans une homélie prononcée le 26 novembre 1944 à la cathédrale de Nancy à l'occasion du Te Deum de la victoire.
5 L’après-guerre
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est ordonné évêque en Italie (18 février 1946). Diocèse suburbicaire de Porto et Santa Rufina
Il noue des liens avec des responsables orthodoxes comme le Patriarche Athénagoras. Il en arrive naturellement à une activité diplomatique, souvent officieuse, mais importante à plus d'un titre. Après 1945, avec la mise en place du "rideau de fer" et l'instauration de régimes communistes en Europe orientale, il multiplie les initiatives d'aide aux chrétiens persécutés. Il est l'un des hommes les mieux informés de ce qu'ils endurent et il ne cesse de sensibiliser les chrétiens occidentaux à leur sort. Il les invite à prier pour les persécutés d'URSS, de Roumanie, de Croatie, de Yougoslavie, de Hongrie. Il en parle lors du Congrès eucharistique de Nancy de 1949. Il souffre au plus profond de lui-même du drame de ces chrétiens persécutés dont il a la charge.
Il revient en 1951 pour une retraite de prêtres au Grand séminaire de Nancy.
À cette occasion il vint à Toul pour l’inauguration de l’École de la Sainte-Famille. L’événement est rappelé 33 ans plus tard dans la revue paroissiale " Toul Alliance" n° 164 de juin 1984 pour illustrer un article écrit sur La Sainte Famille par le Père Marcel GONDEK, ancien vicaire de la cathédrale, directeur-fondateur de La Sainte Famille, aumônier à l'hôpital St Charles de Toul à cette époque.
Photo datant de cette visite inaugurale de septembre 1951 avec Monseigneur LALLIER – assis à droite, évêque de Nancy et de Toul. Le père Gondek est assis en arrière-plan à gauche.
J’ai connu l’école dans les années 1980 ; notamment le saint homme qu’était le Père Gondek. Dans les premières années de l’école, il lui arrivait d’emprunter à sa mère l’argent pour payer les maitres à la fin du mois.
Dans sa dernière mission d’aumônier de l’hôpital Saint-Charles à Toul il était encore étonnant de simplicité, d’humilité, et de dévouement.
5.1 Décorations :
* Grand-croix de la Légion d'honneur
* Croix de guerre 1914-1918
* Docteur honoris causa de plusieurs universités étrangères, membre de l'Académie des Inscriptions et belles lettres depuis 1938.
5.2 Œuvres
Eugène Tisserant est l'auteur de plusieurs ouvrages d'érudition :
* L'Ascension d'Isaïe (1909),
* Specimena Codicum Orientalum (1914),
* L'Église militante (1950),
* Louis-Marie Grignion de Montfort,
* Les écoles de charité et les origines des Frères de Saint-Gabriel (1960)
* On lui doit également plusieurs contributions au Dictionnaire de Théologie catholique.
6 Bibliographie
Joseph YACOUB, dans le journal quotidien La Croix du 21.02.02, à l'occasion du trentième anniversaire de la mort du Cardinal Tisserant).
Étienne ANDRY,
Étienne THÉVENIN
Maître de conférences en histoire contemporaine
Université de Nancy 2
cardinal tisserant page 1
Toul Alliance" n° 164 de juin 1984 – Article du Père Marcel GONDEK, ancien vicaire de la cathédrale, directeur-fondateur de La Sainte Famille, aumônier à l'hôpital St Charles.