Nancy menacée. Août – septembre 1914   

 

par Raymond Aubry

 

L'action énergique du conseil municipal.

 

 

            La ville de Nancy occupait une position singulière après la défaite de 1871. Seule grande ville de l'est de la France, après l'annexion de Metz et Strasbourg à l'empire allemand, elle avait grandement bénéficié tant de l'afflux de réfugiés alsaciens et mosellans que des attentions de tous les gouvernements de la République, soucieux d'en faire la vitrine de la France face à l'Allemagne. Néanmoins, compte tenu de l'extrême proximité de la frontière (15 kilomètres) se posait le problème de la défense de la ville en cas de conflit, d'autant plus que Nancy se trouvait à l'est de la ligne des forts Séré de Rivière, dont la place forte la plus proche était celle de Toul.

            Le haut-commandement, malgré les efforts de Louis Marin et du colonel Driant, députés de Meurthe et Moselle, considérait donc Nancy quasiment comme une « ville ouverte » alors que les Allemands croyaient ou souhaitaient croire qu'elle avait un statut de place forte; cependant des travaux légers de fortification avaient été commencés sur les hauteurs situées à l'est et au nord-est de la ville, hauteurs que l'histoire allait rendre célèbres sous l'appellation de « Grand Couronné ».

             La garnison de Nancy était évidemment très importante (environ 15 000 hommes) avec quatre régiments d'infanterie ( dont l'emblématique 26ème régiment d'infanterie ainsi que le 69ème régiment d'infanterie, le fameux six-neuf ) deux d'artillerie ( dont  le 8ème régiment d'artillerie à la caserne Drouot ) un de cavalerie(5eme hussards) et de nombreux services.  Au palais du gouvernement se trouvait l'état major du XXème corps d'armée dont le chef était, depuis 1913, le général Foch. A défaut d'être particulièrement défendue en cas d'attaque allemande, Nancy était surtout une des bases de départ de la grande offensive française ( le plan XVII ) prévue en direction de Metz- Forbach et au delà... « L'offensive à outrance », doctrine officielle de l'état major devait y trouver sa justification et sa plus belle application.

            Ville de garnison, marquée par un ardent patriotisme, Nancy vécut les premières semaines de la guerre dans une certaine allégresse, teintée néanmoins de gravité mais aussi d'espérance pour la « revanche ». Les premières nouvelles concernant la grande offensive conduite en Moselle semblaient conforter ces espoirs; hélas, à partir du 21 août, des bruits alarmants confirmés par l'affluence de très nombreux blessés annoncèrent non seulement l'échec de la IIème armée mais aussi la menace d'une invasion imminente de la ville; des mouvements de panique s'ensuivirent, y compris dans le secteur public (évacuation précipitée de la poste et de l’hôpital militaire). Cette période de grande inquiétude culmina début septembre avec les grandes attaques frontales de l'armée allemande, à quelques kilomètres à l'est de Nancy.

            A partir du 12 septembre, le communiqué de Joffre, général en chef des armées, annonçant la victoire de la Marne, galvanisa le moral des nancéiens, d'autant que les Allemands cessaient leurs attaques et entamaient une retraite générale sur la Seille. Les semaines qui suivirent permirent à la ville de retrouver un semblant de vie plus normale malgré les soins aux blessés, l'aide aux réfugiés, les difficultés du ravitaillement et la proximité du front.

            C'est dans ce contexte général que se situe l'action du conseil municipal de Nancy en août-septembre 1914. Contrairement à celles qui l'avaient précédée, la nouvelle équipe municipale, élue en 1912, appartenait à la gauche républicaine et modérée. Elle avait bénéficié, pendant la campagne électorale, du soutien actif de l'Est Républicain et de son nouveau directeur depuis 1911, René Mercier, ancien patron de la très radicale Dépêche de Toulouse. Elle élit comme maire Joseph Laurent, un professeur d’histoire de la faculté des lettres.  La dégradation de la situation internationale datant seulement des deux dernières semaines de juillet, l'activité de la municipalité ne fut marquée d'aucune action particulière en vue d'une guerre éventuelle jusqu'au 29 juillet où une séance secrète permit d'envisager les mesures à prendre en cas de mobilisation. A partir du 2 août, le conseil municipal, souvent en formation restreinte, voire très restreinte, compte tenu des conseillers mobilisés ou retenus par des tâches prioritaires, telles que les médecins dans les hôpitaux, se réunit chaque matin, samedi et dimanche compris, pour une séance généralement assez brève mais qui permettait à la fois d'établir un aperçu général de la situation et de prendre les décisions qui s'imposaient.

            Le conseil fut présidé d'abord par Joseph Laurent, maire, qui, sursitaire en raison de ses fonctions, choisit de rejoindre son régiment à compter du 23 août malgré les objurgations du préfet (on peut penser que les premières nouvelles alarmantes venant notamment du front de Lorraine pesèrent sur sa décision).Gustave Simon, jusqu'alors premier adjoint, fut élu pour le remplacer. Dans ces circonstances gravissimes, les relations avec l'État, en l'occurrence à Nancy le préfet, revêtaient une importance capitale. Le préfet en poste à la déclaration de guerre, M. Reboul, était malade; il eut la sagesse de comprendre qu'il n'était pas l'homme de la situation et il démissionna le 9 août.

            Son successeur, Léon Mirman, se signala immédiatement par son énergie, son activisme, sa volonté de défendre Nancy et de collaborer étroitement avec la municipalité; les relations entre le maire et le préfet devaient rester très étroites jusqu'à la fin de la guerre.

            A compter du 2 août la municipalité fut donc confrontée à de nombreux problèmes, tout aussi prioritaires les uns que les autres.

 On peut sommairement les répertorier en six catégories :

  • la sécurité publique
  • le ravitaillement
  • les réfugiés
  • les finances et les secours en argent
  • l'accueil et soin des blessés
  • la lutte contre le chômage

 

1-Priorité aux armées et à la sécurité publique.

 

            Le lendemain de la déclaration de guerre, soit le 4 août, l'état de siège est proclamé. Il s'applique bien entendu à Nancy compte tenu de la proximité de la frontière. L'autorité militaire est exercée en ville par le général Léon Durand, commandant le groupe des divisions de réserve.

            La gare bénéficie d'un régime particulier compte tenu de son rôle dans la mobilisation; elle est gardée par une unité de territoriaux et placée sous l'autorité d'une commission militaire bien que le chef de gare possédât un « journal de mobilisation ». Le personnel très réduit (10 employés le 23 août) et la priorité donnée aux armées entrainent une chute brutale du trafic « civil »; à partir du 2 août il n'y a plus que deux trains par jour dans chacune des grandes directions, y compris Paris. Puis quatre trains à partir du 6 août, mais il faut 15 heures pour rejoindre la capitale.

            Par contre, pendant une dizaine de jours les trains de mobilisation vont déverser des troupes à un rythme infernal, certains jours à raison d'un train toutes les 20 minutes.

            La gare va subir les répercussions de la défaite de Morhange, l'évacuation précipitée de certaines administrations (postes, trésorerie, banque de France) entraine l'exode d'une partie de la population par les gares de Champigneulles et de Jarville, la gare de Nancy étant interdite aux civils.

            L'évolution critique de la situation militaire à partir du 22 août a pour conséquence la préparation du sabotage de la gare... et le maintien sous pression d'une locomotive et de quelques wagons pour évacuer les autorités au dernier moment, notamment le préfet.  La gare sera d'ailleurs finalement évacuée le 10 septembre.

            Heureusement la situation militaire, rétablie mi-septembre grâce aux victoires conjuguées de la Marne et du Grand Couronné, desserrent l'étreinte allemande sur Nancy et le trafic ferroviaire sera rétabli presque normalement fin septembre, au moins en direction de Toul, Neufchâteau, Bar le Duc et  Merrey. Un ou deux trains iront vers Paris à partir du 21 septembre. La gare de Nancy a donc bien été au cœur de ces semaines tragiques.

            En ville, l'émotion causée par la déclaration de guerre entraine quelques troubles alors que, compte tenu de la mobilisation de la plupart de ses agents, la police se trouve en sous effectif.

            Le 2 août, le conseil municipal décide la création d'une « garde civile » en faisant appel à des volontaires. Son siège est fixé au salon carré de l'hôtel de ville, elle sera placée sous le contrôle de la gendarmerie. Néanmoins, compte tenu des relations difficiles avec la police, elle sera dissoute le 29 août. Les effectifs de la police (il reste 5 fonctionnaires sur 149 début septembre) seront renforcés ensuite par l'enrôlement d' « auxiliaires » avec brassards et cannes.

            La garde civile aura cependant joué un rôle utile pour combattre les troubles apparus en ville dans les premières semaines. Des étrangers ont été molestés. Ils doivent se faire recenser à l'hôtel de ville et ceux qui relèvent de puissances ennemies sont évacués début août vers des zones de regroupement à l'intérieur de la France. Les nancéiens portant des noms germaniques doivent attester de leur fidélité à la France. C'est le cas par exemple de M. Salomon, photographe rue de la Visitation. Un légionnaire d'origine allemande a été malmené...Le commissaire central doit rappeler le 27 août que toute manifestation à l'encontre des prisonniers et des blessés ennemis est interdite, la phobie anti-germanique est à son comble (il est vrai que plusieurs espions sont fusillés début septembre pour avoir coupé des fils téléphoniques ou renseigné les allemands grâce à des signaux émis depuis des clochers).

            L'état de siège comporte évidemment des mesures drastiques : limitation de la circulation pour tous les véhicules, y compris les vélos, même si le conseil municipal se plaint de la vitesse à laquelle circulent les voitures militaires. Des sauf-conduits sont nécessaires...Début septembre toute la circulation en dehors des véhicules prioritaires est interdite et les 125 automobiles restant à Nancy sont évacuées vers Toul, une par une pour ne pas affoler la population! A partir du 14 septembre les vélos seront de nouveaux autorisés dans les limites de l'octroi de Nancy.

            Les fenêtres doivent être obstruées la nuit. Le commissaire central demande même une extinction complète des lumières ! Les spectacles sont suspendus, les cafés ferment à 18 heures puis 19 heures à compter du 22 septembre et les attroupements sont interdits.

            La censure s'exerce d'une manière zélée sur les cinq  journaux locaux dont les principaux : l'Est Républicain, l'Eclair de l'Est et L'Etoile de l'Est. L'Est Républicain sera suspendu une journée fin août suite à un article intitulé « une erreur »; plus curieusement, il fera l'objet d'une interdiction de paraître pendant trois jours mi-septembre pour avoir publié sans autorisation et avant que le préfet n'en soit destinataire, le communiqué du général Joffre annonçant la victoire de la Marne !

            Les allocutions ou les prêches des maires et des curés sont également étroitement surveillés. Le 16 septembre, le curé de Benney est sanctionné par le préfet pour avoir tenu en chaire des propos politiques. Le 31 août, le maire de Port sur Seille est révoqué pour son attitude trop complaisante envers les Allemands.

            L’attitude très ferme du préfet Mirman et du maire Simon sont particulièrement nécessaires face aux débuts de panique engendrés par les attaques allemandes sur Nancy et l'éventualité d'une occupation de la ville.

            La trésorerie générale, trop vite évacuée, sera priée de rentrer à Nancy le 26 août; il en sera de même pour la poste le 1er septembre, son directeur étant sanctionné par une mise en disponibilité d'office. Pour les motiver le préfet reçut ensuite les postiers et prononça une allocution faisant appel à leur patriotisme.

            Néanmoins, l'hypothèse d'une invasion ne pouvant être écartée, le préfet rappelle le 27 août qu'en cas d'occupation allemande, il faut absolument éviter toute action de francs tireurs. Les armureries doivent d'ailleurs remettre leurs armes aux autorités  à partir du 13 septembre. De même, le 7 septembre le maire fait préparer une affiche appelant la population au calme si l'ennemi entre à Nancy...dans les deux cas les bruits alarmistes qui circulent en ville sont néanmoins démentis.

            Si donc l'ordre public ne fût jamais gravement menacé grâce à la fermeté des autorités militaires, préfectorales et municipales, les premières victimes civiles (ou militaires) furent à déplorer à la suite soit d'incidents meurtriers, soit des bombardements.

            Quelques faits divers tragiques à relever :

  • Le 5 août caserne Hugo, un sergent territorial devenu fou, tue un caporal et blesse trois hommes avant d'être abattu par un gendarme.
  • Le 6 août un territorial pris de folie tue deux soldats place Carrière.
  • Le 31 août, à la poste centrale, un sous officier jouant au « joli cœur » montre son révolver à une jeune employée et la tue accidentellement.

            La ville subit également les premiers bombardements allemands. Le 4 septembre un avion lâche deux bombes place de la Cathédrale et rue Exelmans; on déplore deux morts, un vendeur de journaux de 40 ans et une fillette de 13 ans.

            Nouvelle alerte dans la nuit du 9 au 10 septembre, deux pièces de siège amenées dans la forêt de Pulnoy envoient une cinquantaine d'obus autour de la place du marché (dont deux sur l'église Saint Sébastien) faisant huit morts; c'est le baroud d'honneur de l'artillerie allemande avant le repli sur la Seille ! Des obus non éclatés doivent être enlevés avec toutes les précautions d'usage dans les jours qui suivent.

 

 

2-Les difficultés du ravitaillement.

 

            Les problèmes de ravitaillement surgirent avant la déclaration de guerre puisque dès le 29 juillet les épiceries furent dévalisées par des nancéiens prudents.

  Ce même jour, en séance secrète, le conseil municipal prévit  l'instauration d'un embargo sur les stocks importants de denrées. Ce sera effectif pour le lait dès le 4 août mais des fraudes (du lait mouillé) seront détectées début août.

            Dès le 3 août le conseil municipal crée une « commission de l'alimentation » et définit des rations de secours pour les familles nécessiteuses (3 kilos de pain par adulte pour une semaine et 2 kilos par enfant). Le lait est réservé en priorité aux enfants et aux malades au prix maximum de 40 centimes le litre. Un arrêté du maire fixe le prix du pain mais des bruits malveillants circulent sur la maison Vilgrain, principal fournisseur de farine aux boulangers de la ville. Les relations avec cette société seront en permanence tendues, la mairie négociant pour avoir de la farine au meilleur prix.

  Heureusement l'Est Républicain annonce le 4 août qu'un important stock de pommes de terre et de légumes destiné à l'Allemagne vient d'être saisi et sera mis en vente au marché.

            La délivrance par la municipalité de bons de pain, de lait et de viande (gratuits ou payants selon les familles) fonctionne dès le 9 août. Des soupes populaires sont organisées. Les abats des boucheries militaires sont même récupérés et distribués.

  En revanche la vente d’absinthe est interdite à compter du 18 août. Elle sera d'ailleurs saisie fin septembre.

            Cela étant, malgré les rapides et énergiques efforts du conseil municipal, des difficultés importantes surviendront à partir de la deuxième quinzaine du mois d'août. Pour y faire face, un adjoint, Joseph  Antoine, va s'imposer et déployer une énergie peu commune, multiplier les contacts et se déplacer au mieux dans les zones du grand est encore accessible ou jusqu'en Suisse.

            Un bateau de houille est réquisitionné dès le 4 août, du lait concentré est acheté en Suisse (un wagon !), des vaches laitières sont achetées à des agriculteurs de Jarville (M. Albert Perot) et de Vandœuvre. (M. Victor Perot à Brichambeau).

            Un wagon de 3000 kilos de beurre est livré le 28 août et 5 wagons de sucre le 30 août. Joseph  Antoine s'est déplacé à Sermaize, ville brulée par les Allemands, mais où la raffinerie est épargnée.

            Le « système D » s'impose également; le 24 septembre le maire déniche 2 camions cachés à Nancy pour aller chercher des abats à l'intendance militaire de Toul. La ville sert en fait d'intermédiaire entre les fournisseurs en gros et les négociants de Nancy.

            Évidemment le retrait de la menace allemande à partir de mi-septembre va améliorer légèrement la situation; on note de gros arrivages par la voie d'eau (15 péniches de houille) ou le chemin de fer (le sucre de Sermaize). Néanmoins des difficultés subsistent : le beurre, les œufs et la volaille sont toujours taxés mais les prix officiels ne sont pas toujours respectés. Le stock de sucre diminue très rapidement et le rationnement menace fin septembre. Les bouchers protestent qu'à l'abattoir on vende des langues directement au public, le conseil municipal décide alors qu'elles seront réservées aux boucheries et vendues à la criée.

            Le rétablissement des relations commerciales est symbolisé par un train de livraison de Paris par semaine, un train « alimentaire » de Châlons sur Saône, et l'achat de pommes de terre à Saint Malo (9,5 francs les 100 kilos).

            Dans une interview donnée le 26 septembre, Joseph Antoine tient des propos rassurants sur la situation du ravitaillement. Il annonce même la prochaine arrivée de 4 wagons de chocolat Menier et de 2000 caisses de lait condensé. En revanche la lettre circulaire du général Joffre s'indignant que des récoltes ne soient pas engrangées alors que des hommes de 45 à 60 ans « trainent » dans la campagne, lui vaut une réponse laconique du préfet précisant que le département de Meurthe et Moselle n'est pas concerné.

            La fermeté n'est pas moins grande au conseil municipal qui, le 14 octobre, refusera de livrer du sucre à l'autorité militaire qui menacera d'utiliser la force !

            La lente amélioration de la situation réveillera certains commerçants qui critiqueront le rôle de la municipalité en matière de ravitaillement; ils s'attireront une réponse acerbe du maire qui n'aura pas de mal à mettre en valeur l'action remarquable de la ville en ce domaine et le dynamisme tout particulier de Joseph Antoine au sein de l'équipe municipale.

 

3-Les réfugiés de l'offensive et surtout ceux de la retraite.

 

Nancy accueillit d'abord des réfugiés de la zone frontière dès le 3 août puis ceux venant des villages provisoirement libérés au cours de l'offensive vers Morhange. L'offensive se transformant en retraite générale et les bruits (hélas trop souvent vérifiés comme à Badonviller ou Nomeny) sur les exactions et les crimes de l'ennemi envers les civils, l'intensité des combats, entraineront un très fort exode de population de la zone du Grand Couronné. Par ailleurs, les allemands expulsent de Metz des familles soupçonnées de sentiments francophiles. Certaines feront le trajet à pied depuis Arnaville.

            Dès le 18 août le conseil municipal décide d'accorder des secours aux réfugiés transitant par Nancy ou s'y installant provisoirement; les galeries de la salle Poirel furent d'abord mises à leur disposition le 24 août mais l'afflux grandissant des réfugiés conduisit la ville à les transférer à la colonie scolaire de Gentilly et à acheter des couvertures.

            L'acuité du problème conduit à créer un comité d'aide aux réfugiés présidé par les principales autorités (préfet, maire, évêque, président du conseil général), il s'organise en six commissions : logement, alimentation, habillement, finances, rapatriement et administration.

            L'Est Républicain publie le 11 septembre un reportage sur la colonie de Gentilly qui abrite alors 657 pensionnaires dont 124 hommes.

            Néanmoins, l'insuffisance des locaux amène le conseil municipal à demander à l'armée la mise à disposition d'une caserne. Le transfert des réfugiés à la caserne Molitor sera effectué les 15 et 16 septembre; à Molitor il y a des lits et on peut utiliser la piscine proche de Nancy Thermal.

            Après le 15 septembre, la retraite des allemands sur la Seille permet à l'armée d'autoriser les habitants de la rive droite de la Meurthe à rentrer chez eux malgré les nombreuses destructions; pour les y encourager, le préfet fait publier dans l'Est Républicain un article dithyrambique sur le thème « cultivateur lorrain rentre dans ta commune » ! Fin septembre, la presse constate que le comité d'aide aux réfugiés fonctionne bien dans toutes ses commissions; néanmoins la rentrée scolaire, fixée normalement au 1er octobre, pose problème pour les enfants de réfugiés car on manque cruellement d'instituteurs. En accord avec la mairie, l'inspection académique décide de limiter le nombre d'écoles maternelles ouvertes afin de « récupérer » les institutrices

            En fait, malgré les incitations adressées aux réfugiés pour que, dans la mesure du possible, ils regagnent leur village, leur nombre ne fera que croitre. 572 seront recensés à Molitor début octobre et plus de 1100 fin novembre.

 

4-Les finances : fausse monnaie et secours aux nécessiteux.

 

            Le 29 juillet, la soudaine aggravation de la situation internationale provoquera un début de panique financière; la caisse d'épargne (qui se trouvait alors rue Pierre Semard) et les banques furent assiégées par des clients retirant leurs avoirs; rapidement la monnaie se raréfia compte tenu de la multiplication des achats de vivre.

            La municipalité avait tenté d'anticiper dans sa séance secrète du 29 juillet en créant une commission financière, composée de quatre conseillers et du receveur municipal, pour gérer des fonds secrets.

             Elle décida également la création de bons municipaux (500 000 francs sous forme de bons de 1, 2 et 5 francs) pour pallier le manque de numéraire (bien que la banque de France ait reçu des fonds supplémentaires début août).

            Les secours aux familles nécessiteuses furent très vite organisés; des « bureaux de secours » furent installés dans les écoles des différents quartiers. La ville décida également de devancer l'Etat en distribuant des allocations aux familles des nancéiens mobilisés en considérant que les « filles mères » ayant un compagnon mobilisé seraient assimilées à des femmes mariées...Les étudiants russes furent également aidés.

            Le 10 août, le versement des subventions fut suspendu et deux souscriptions en faveur des blessés accueillis par la Croix Rouge et dans les hospices furent lancées et obtinrent rapidement un succès certain (25 000 francs recueillis dès le 19 août).

            Les secours financiers de l'état furent plus lents à s'installer; le 14 août le préfet publia un arrêté sur les allocations accordées aux familles nécessiteuses des mobilisés puis le 2 septembre à l'ensemble des familles des mobilisés. La municipalité avait anticipé la mise en œuvre des alloc actions militaires en les versant dés que fut connue la décision de l'état, quitte à se faire rembourser ultérieurement les sommes avancées.

            La relative improvisation avec laquelle ces différentes mesures furent mises en œuvre n'alla pas sans quelques difficultés. Certains commerçants, méfiants vis à vis des bons municipaux ne rendaient pas la monnaie... Des difficultés apparurent pour payer les réquisitions; le 17 septembre le conseil municipal décida également de différer le remboursement par la ville de 200 000 francs d'obligations. Rapidement se posa aussi le problème du cumul des différents secours; le 18 août le maire demanda aux chefs d'entreprise de lui fournir la liste des secours donnés à leurs employés.

            Il fallait également comparer les listes de familles secourues, notamment entre les différents bureaux; à cette fin, un bureau central d'appel et de contrôle fut constitué le 15 septembre. Les noms des fraudeurs furent affichés pendant une semaine et ils subirent une journée d'interruption des secours. Néanmoins le cumul des secours en nature (pain, lait, soupe) avec les allocations militaires continua d'être admis.

            Outre les souscriptions, de beaux gestes furent à signaler, ainsi les aviateurs de l'escadrille du plateau de Malzéville offrirent-ils des cartes illustrées avec leur signature pour être vendues au profit des blessés et des indigents.

            Le rétablissement de la situation militaire mi-septembre entraina aussi une réaction du ministère des finances qui s'étonna de la création de monnaie par la ville et donna consigne aux caisses publiques de ne pas les accepter. Le maire répondit vigoureusement qu'il ne s'agissait que de faire face au manque de monnaie et que nécessité avait fait loi. Effectivement, dans ce domaine comme dans les autres, la municipalité de Nancy avait fait preuve d'initiative et de réactivité.

 

5-L'accueil et le soin aux blessés : improvisation et dévouement.

 

            Dès les premiers jours de la guerre, la ville dut faire face à l'arrivée des blessés. Certains conseillers municipaux, médecins de profession, cessèrent de siéger pour se consacrer aux soins, ce fut par exemple le cas du docteur Chrétien qui eut par ailleurs la douleur de perdre un fils le 1er septembre.

            Dès son arrivée, le préfet Mirman, dans son rapport du 13 août, signala au gouvernement le manque de moyens médicaux et de médecins à Nancy. L'échec de l'offensive française et la retraite qui suivit générèrent un afflux considérable de blessés (y compris allemands qu'il fallut protéger de toute manifestation hostile par un ordre du commissaire central du 27 août). Fin août, un lecteur de l'Est Républicain protesta également contre le « voyeurisme » des nancéiens vis à vis des voitures de soldats blessés.

            Il fallut en hâte installer des hôpitaux supplémentaires dans les lycées et les écoles (y compris les écoles libres; ce qui conduisit certains à craindre pour la liberté de l'enseignement...).

            Le début de panique du 21 août consécutif à la défaite de Morhange et a l'arrivée imminente de l'ennemi, amena le commandant d'armes à ordonner précipitamment l'évacuation des hôpitaux, ce qui se fit dans des conditions lamentables le 22 août; le préfet Mirman en fut si choqué qu'il demanda une enquête administrative au directeur régional de la santé, alors installé à Troyes.

            L'évacuation des blessés fut heureusement rapidement interrompue. Pour que la population soit mieux informée, la mairie organisa à compter du 20 août un service de renseignement sur les blessés originaires de Nancy.

            Le 28 août le maire et le préfet firent une visite conjointe dans les hôpitaux; ils furent aussi souvent présents ou représentés aux obsèques des jeunes nancéiens morts au combat; le 4 septembre les obsèques du colonel de Cissey, commandant du 69ème régiment d'infanterie, donnèrent lieu à une cérémonie fervente et patriotique. Il en fut de même pour les victimes des bombardements de septembre.

            La stabilisation du front mi-septembre et l'accalmie des opérations permit de normaliser la situation dans les hôpitaux et surtout d'améliorer, dans la mesure du possible, les soins assurés aux blessés.

6-Le chômage : les hommes sont partis mais la ville doit créer des ateliers municipaux

Paradoxe de la situation : les hommes sont mobilisés mais le problème du chômage se pose rapidement. En effet beaucoup d'entreprises ou de commerces doivent fermer ou réduire sérieusement leur activité. Dans son rapport du 11 août le préfet Mirman, qui vient d'arriver la veille, se plaint de l'évacuation anticipée des stocks de matières premières de la manufacture des tabacs, qui aboutit à la mise au chômage d'une partie du personnel. La stabilisation du front entrainera le retour d'une partie de la population et la reprise d'activité d'un certain nombre d'entreprises, améliorant ainsi la situation du marché du travail. Les hommes de plus de quarante ans se trouvent confrontés à un problème d'emploi et beaucoup de familles modestes dont le père est mobilisé vont se trouver dans la gène.

            Dès la séance secrète du conseil municipal du 29  juillet, les élus évoquent ces difficultés.     Dès le 7 août, ils créent une commission pour les secours aux familles et le 12 août une commission de travail qui va créer des « ateliers municipaux » dans un premier temps pour 200 à 300 ouvriers qui se consacrent à des travaux d'intérêt public, notamment au cimetière du sud. Des ateliers féminins sont également créés où les ouvrières confectionnent des vêtements, des musettes et des paillasses pour l'armée.

            L'évolution critique de la situation militaire conduira l'armée à solliciter le 4 septembre le concours de cinq à six cents terrassiers, ils seront réquisitionnés dans les « ateliers municipaux », pour des travaux légers de défense à l'est immédiat de Nancy. Hélas, l'importance des pertes nécessitera également, mi-septembre, le concours de deux cents ouvriers pour enterrer les morts du côté de la Bouzule.

            Pour lutter contre le chômage, il faut également noter l'ouverture, dès le 6 août, d'un bureau de placement rue des Dominicains.

            Sur un plan financier, l'État, moins réactif que la municipalité, annonce le 3 septembre qu'il va subventionner les caisses de chômage des syndicats et les fonds de chômage des municipalités.

            C'est dans la difficulté que se révèlent les grands caractères; si Nancy fut sauvée par la deuxième armée, le patriotisme, la vaillance et l'esprit de sacrifice de ses soldats et de leur chef, le général de Castelnau, il n'est pas moins nécessaire de souligner l'action remarquable du conseil municipal durant ces semaines tragiques.

            Élu maire le 23 août, au cœur de la panique, Gustave Simon s'investit totalement dans ses fonctions avec beaucoup d'autorité, d'énergie, de sang froid et de sens de l'intérêt public. Son adjoint, Joseph  Antoine multiplia les initiatives, souvent avec succès, pour assurer le ravitaillement de la ville.

  Autour d'eux, une petite équipe très soudée assura une présence permanente dans tous les domaines vitaux de la vie quotidienne des nancéiens.

            La qualité des relations entretenues tant avec le remarquable préfet que fut Léon Mirman qu'avec le général de Castelnau (malgré quelques « frottements » inévitables) permit également d'assurer à l'action publique le maximum d'efficacité.

            Alors que s'approche le centenaire de la bataille du Grand Couronné, il est souhaitable que les nancéiens se souviennent de l'action de leur conseil municipal en ce tragique été 1914.

    Remerciements

            Je tiens à remercier Claire Lemée Guérin qui a assuré la première frappe de ce texte et monsieur le professeur Alain Larcan qui a bien voulu me faire part de ses judicieuses suggestions.

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